Semaine du 23 avril 2012 

Jardins

Chapitre I 
Giverny, chef-d’œuvre de Claude Monet


 Autrefois, j'ai tellement admiré la peinture de Monet. Et puis elle s'est usée, peut-être parce que, sortie de son contexte, elle est devenue illustration de cartes postales. Je dis sortie de son contexte parce que ce fut une peinture révolutionnaire et scandaleuse, bannie du salon officiel, méprisée, alors qu'elle s'attachait à révéler quelque chose d'inédit dans ce domaine, décrire la sensation de l'instant, traduction de l'éphémère. Les impressionnistes sont peut-être parvenus à capturer la lumière...



En haut, à gauche : Le jardin de Monet, les iris; à droite : la maison de Monet à Giverny, Jean-Marie del Moral.
En bas, à gauche : portrait de Monet par Nadar; à droite : les Nymphéas, étude d'eau le matin n°1.
  

 Claude Monet s'installe à Giverny en 1883, transforme peu à peu le champ de pommiers qui le ceint en jardin, puis en chef-d’œuvre. Épaulé par un jardinier, qui sera lui-même soutenu par quelques assistants, il met en forme ce qui deviendra le principal sujet de sa peinture.
 Cherchant, expérimentant, il dompte la nature avec la nature elle-même. Il est difficile de retrouver la sérénité qu'a pu connaître le peintre en son jardin, tant les allées sont saturées de visiteurs, mais il reste de cette visite le sentiment délicieux d'avoir marché dans les pas d'un grand metteur en scène. 




Chapitre II
Nature et culture  


 
  "Accoudée au mur du jardin, je pouvais gratter du doigt le toit du poulailler. Le Jardin-du-Haut commandait un Jardin-du-Bas, potager resserré et chaud, consacré à l'aubergine et au piment, où l'odeur du feuillage de la tomate se mêlait, en juillet, au parfum de l'abricot mûri sur espaliers.
  Dans le Jardin-du-Haut, deux sapins jumeaux, un noyer dont l'ombre intolérante tuait les fleurs, des roses, des gazons négligés, une tonnelle disloquée... Une forte grille de clôture, au fond, en bordure de la rue des Vignes, eût dû défendre les deux jardins; mais je n'ai jamais connu cette grille que tordue, arrachée au ciment de son mur, emportée et brandie en l'air par les bras invincibles d'une glycine centenaire..."
Colette, La maison de Claudine


Semaine du 16 avril 2012




  
  Cette semaine, en préambule de mon exposition avec le collectif Hauts les Arts qui débutera le lundi 23 avril à la Galerie Sainte Opportune à Paris, où je présenterai illustrations et petits accessoires, j'explorerai l'univers du livre d'Alessandro Baricco, Océan Mer en français, qui m'a servi de source d'inspiration pour élaborer cette collection. 




Oceano mare

Chapitre I
Océan Mer, d'Alessandro Baricco



 1, 2 et 5 : Alain Roux. 3 : Irène Suchocki. 4 : Eugenio Recuenco.




  C'est un livre que je relis presqu'une fois par an, parce que l'écriture est belle, limpide, maîtrisée, parce qu'il raconte la mer, l'océan, l'eau, monstrueux ou réconfortants, parce qu'il promène des fantômes et qu'il sent l'écume et le sel. 
  Dans mes rêves, Jane Campion l'adapterait au cinéma pour donner corps à ces personnages qui trimballent leurs secrets, leurs fêlures et leurs défaites jusqu'à la pension Almayer.
"La pension Almayer, tu pouvais y arriver à pied, en descendant par le sentier qui venait de la chapelle Saint-Amand, mais aussi en voiture, par la route de Quartel, ou sur une barge, en descendant le fleuve. Le professeur Bartleboom y arriva par hasard." 
Ou alors, Giuseppe Tornatore en livrerait une adaptation âpre et sicilienne, en y infusant la poésie nécessaire à l'évocation de ce bout du monde où un artiste peint l'océan avec de l'eau de mer sur des toiles qui restent inexorablement blanches, où un professeur  pense qu'un jour, quelque part, il rencontrera sa femme en lui écrivant des lettres d'amour quotidiennes pour les lui offrir quand ils se croiseront, où une enfant essaie de ne plus avoir peur de vivre.

"Sable à perte de vue, entre les dernières collines et la mer - la mer - dans l'air froid d'un après-midi presque terminé, et béni par le vent qui souffle toujours du nord.
La plage. Et la mer.
Ce pourrait être la perfection - image pour un œil divin - monde qui est là et c'est tout, muette existence de terre et d'eau, œuvre exacte et achevée, vérité -vérité -, mais une fois encore c'est le salvateur petit grain de l'homme qui vient enrayer le mécanisme de ce paradis, une ineptie qui suffit à elle seule pour suspendre tout le grand appareil de vérité inexorable, un rien, mais planté là dans le sable, imperceptible accroc dans la surface de la sainte icône, minuscule exception posée sur la perfection de la plage illimitée. A le voir de loin, ce n'est guère qu'un point noir : au milieu du néant, le rien d'un homme et d'un chevalet de peintre."  
Alessandro Baricco, Océan Mer, Éditions Albin Michel, 1998.



Chapitre II
Plasson, le peintre





"L'homme ne se retourne même pas. Il continue à fixer la mer. Silence. De temps en temps, il trempe le pinceau dans une tasse de cuivre et trace sur la toile quelques traits légers. Les soies du pinceau laissent derrière elles l'ombre d'une ombre très pâle que le vent sèche aussitôt en ramenant la blancheur d'avant. De l'eau. Dans la tasse de cuivre, il n'y a que de l'eau. Et sur la toile, rien. Rien qui se puisse voir.
Souffle comme toujours le vent du nord, et la femme se serre dans son manteau violet.
-Plasson, voilà des jours et des jours que vous travaillez ici. Pourquoi donc emporter avec vous toutes ces couleurs si vous n'avez pas le courage de vous en servir?
La question paraît le réveiller. Elle est parvenue jusqu'à lui. Il se tourne pour regarder le visage de la femme. Et quand il parle ce n'est pas pour répondre.
-Je vous en prie, ne bougez pas, dit-il.
Puis il approche le pinceau du visage de la femme, hésite un instant, le pose sur les lèvres et lentement le fait glisser d'un coin à l'autre de la bouche. Les soies se teignent de rouge carmin. Il les regarde, les trempe à peine dans l'eau, et relève les yeux vers la mer. Sur les lèvres de la femme reste l'ombre d'une saveur qui l'oblige à penser "de l'eau de mer, cet homme peint avec de l'eau de mer" - et c'est une pensée qui fait frissonner."

Alessandro Baricco, Océan Mer, Éditions Albin Michel, 1998.



  
 
Quelques détails, quelques indices à propos de l'exposition...











Chapitre III
Le cauchemar des calamars


 Il règne au fond des mers, tout au fond, des êtres qui n'ont jamais vu la lumière.
En 1873, à Terre Neuve, des pêcheurs ont retrouvé dans leurs filets un calamar de 10 mètres de long. Il se pourrait même qu'il en existe des plus grands encore. On ne sait pas, l'océan renferme encore des mystères un peu terrifiants...
Pour ne plus avoir peur, j'ai décidé de les manger.


Ingrédients

  


La recette

Préparer un bouillon : dans 1,5L d'eau bouillante, jeter l'oignon découpé en lanières + le 1/2 fenouil + le romarin et et les feuilles de laurier.
Couper les blancs de calamars en tranches. Les glisser dans le court-bouillon pendant 10mn. Filtrer, garder le bouillon et le laisser réduire un peu sur le feu, puis saler.
Garder 500ml de bouillon réduit, ajouter l'encre de seiche et l'agar-agar, remuer et porter à ébullition pendant 30 secondes environ. Laisser prendre la gelée au frais dans une grande plaque, c'est assez rapide.
Dans un wok, faire revenir l'ail + la panure dans de l'huile d'olive très chaude, puis y ajouter les calamars. Les laisser dorer en remuant de temps en temps.
Ajouter le persil ciselé.
Laisser reposer quelques minutes. Pendant ce temps, découper des formes dans la gelée à l'encre de seiche, c'est particulièrement délicat, et parsemer de calamars.




Semaine du 9 avril 2012
 

Chrysalides


Chapitre I
Peter Gentenaar, sculpteur de papier




  Peter Gentenaar, artiste hollandais secret, fuyant les honneurs et les interviews, façonne des sculptures immenses et aériennes, délicates et captivantes comme des chrysalides.
Alors qu'il était encore graveur et qu'il cherchait à composer des impressions en trois dimensions, il découvre le travail du papier, qui peut être autre chose qu'un emballage, et met au point sa propre machine, le "hollander", qui fabrique de la pâte à papier à partir du lin.
Recouvrant une fine ossature de bambou avec le papier encore humide, maîtrisant le temps qui sèche la fibre et contorsionne la structure de bois, il développe des sculptures organiques qui semblent flotter entre le perceptible et l'impalpable.   



Chapitre II
Bientôt, un papillon...



  La chrysalide est comme une armure, et tellement fragile pourtant. C'est un état de transition, une promesse, et le mystère qu'elle préserve se dévoile peu à peu, présageant d'un au-delà inconnu encore.



Chapitre III
Petites chrysalides au citron

  Aujourd'hui, j'ai préparé quelques petits desserts évoquant ces carapaces éphémères qui dévoilent quand on les croque une mousse aérienne et acidulée.

Ingrédients


La recette

Découper les feuilles de brick en bandes des 3 à 4 cm de large, les rouler pour former des tubes, passer au four sans chaleur tournante pendant 6mn, laisser refroidir.
Préparation du lemon curd : mélanger le jus + le zeste d'un citron + 1 oeuf + les 60gr de sucre + le beurre en morceaux dans une casserole au bain-marie. Mélanger pendant 7mn sans arrêt. C'est encore mieux si, comme Olivier, on possède un bol à double paroi!
Préparation de la mousse : Hacher très finement les feuilles de verveine et les graines de cardamone. Monter 2 blanc d’œufs en neige très ferme avec 1 pincée de sel et 2 cuillères à soupe de jus de citron.
A la fin, ajouter le sucre glace + la moitié du mélange cardamone/verveine + les zestes d'un citron.
Mélanger délicatement le yaourt grec aux blancs en neige, conserver au frais.

Juste avant de servir, remplir les petits rouleaux en feuilles de brick avec la mousse au citron, puis, à l'aide d'une seringue culinaire, y injecter un peu de lemon curd à l'intérieur.
Saupoudrer du reste de cardamone et verveine, servir rapidement.


 Pour Zelda...
Semaine du 2 mars 2012

Venise, ville flottante


Chapitre I
"Venise : quelle ville pour les marins! Tout flotte et rien ne roule. Un silence divin."
André Suarès 






 Ville à demi engloutie, cerclée d'eaux et de lagunes, elle déploie ses canaux dans un dédale de palais délavés.  Elle n'est pas tout à fait la terre, elle n'est pas tout à fait la mer : elle est œuvre d'art, dessinée par l'homme,  sculptée par les flots, croupissante, vieillissante, mais belle et impassible, insaisissable comme un fantôme.



Chapitre II
Sur le canal





"Une perspective surprenante au premier abord, une étendue très considérable de petites îles si bien rapprochées et si bien réunies par des ponts que vous croyez voir un continent élevé sur une plaine, et baigné de tous les côtés d'une mer immense qui l'environne.
 Ce n'est pas la mer, c'est un marais très vaste plus ou moins couvert d'eau, à l'embouchure de plusieurs ports, avec des canaux profonds qui conduisent les grands et les petits navires dans la ville et aux environs.
 Si vous entrez du côté de Saint-Marc, à travers une quantité prodigieuse de bâtiments de toute espèce, vaisseaux de guerre, vaisseaux marchands, frégates, galères, barques, bateaux, gondoles, vous mettez pied à terre sur un rivage appelé "la Piazzetta", où vous voyez d'un côté le palais et l'église ducale, qui annoncent la magnificence de la République; et de l'autre, la place Saint-Marc, environnée de portiques élevés sur les dessins de Palladio et de Sansovin. Vous allez par les rues de la Mercerie jusqu'au pont de Rialto, vous marchez sur des pierres carrées d'Istrie, et piquetées à coups de ciseau pour empêcher qu'elles ne soient glissantes; vous parcourez un local qui représente une foire perpétuelle, et vous arrivez à ce pont qui, d'une seule arche de quatre-vingt-dix pieds de largeur, traverse le grand canal, qui assure par son élévation le passage aux barques et aux bateaux dans la plus grande crue du flux de la mer, qui offre trois différentes voies aux passagers, et qui soutient sur sa courbe vingt-quatre boutiques avec logements et leurs toits couverts en plomb."

Carlo Goldoni
Mémoires de M. Goldoni pour servir à l'histoire de sa vie et à celle de son théâtre 




Chapitre III
Baccalà mantecato

La Baccalà mantecato est une spécialité typique de Venise, que l'on peut préparer en rentrant du marché aux poissons du Rialto.

Ingrédients


La recette(4 personnes)

Mettre la morue séchée "a macco" (à tremper) dans de l'eau pendant 48h, en changeant l'eau quatre fois au moins.
Faire pocher la morue dans un mélange eau + lait pendant 20mn.
Préparer 250gr de polenta, l'étaler sur une plaque sur une épaisseur de 2 à 3cm, laisser refroidir.
Émietter finement la morue, enlever les arrêtes et mettre dans une casserole. Fouetter sans arrêt avec l'huile d'olive en filet continu jusqu'à obtenir une crème souple.
Ajouter le persil et l'ail hachés.
Poivrer, en principe il n'est pas nécessaire de saler.
Dans la polenta refroidie, découper 4 carrés et les faire griller à la poêle avec de l'huile d'olive.
Présenter la baccalà mantecato sur les tranches de polenta.



  "Un marché, c'est ce qui se rapproche le plus d'un bon musée comme le Prado, ou comme l'Accademia aujourd'hui, pensa le colonel. Il prit un raccourci et se trouva dans le marché aux poissons.
  Et là, étalés à même les dalles glissantes, ou dans les paniers, ou les caisses à poignées de corde, c'était le règne des gros homards d'un vert-gris, avec des nuances magenta, présage de leur mort dans l'eau bouillante. Pris en traître, tous, songea le colonel, et on leur a ficelé les pinces.
  Il y avait aussi les petites soles, et un peu d'albacore et de bonito. (...) Il y avait beaucoup d'anguilles vivantes ayant perdu confiance en leur vertu d'anguilles, désormais. Il y avait de beaux bouquets, de quoi faire un scampi brochetto, embrochés et grillés sur un instrument à l'allure de rapière dont on aurait pu se servir à Brooklyn pour casser la glace. Il y avait des crevettes de taille moyenne, grises et opalescentes, attendant elles aussi leur tour d'eau bouillante et d'immortalité et le moment où leurs carcasses vides flotteraient doucement sur le Grand Canal..." 

Ernest Hemingway, Au-delà du fleuve et sous les arbres